Olim meminisse

Forsan et hæc olim meminisse juvabit - Virgile (Enéide, I, 203)
Franciscus Gysbrechts, Nature morte en trompe-l'œil d'une armoire murale à moitié ouverte remplie d'instruments d'écriture, de plats en argent doré, d'un violon et d'un cor de chasse, vers 1675. Passé en vente à Londres chez Bonhams, le 4 décembre 2019 lot 24.
A la source Challenge AZ 2023 Insolites

Aperçus de la vie musicale du XVIIe siècle

Les registres paroissiaux abritent de nombreux écrits personnels dont la présence relève du hasard ou des circonstances. Qu’il s’agisse de notes diverses hâtivement gribouillés en marge des actes ou en fin de cahier, de feuilles à demi-remplies ajoutées pour compléter un cahier déjà plein, le papier reste un matériau assez cher que l’on ne gâche pas et dont chaque blanc appelle la plume1. La reliure de ces cahiers est aussi l’occasion de réutiliser d’anciens feuillets ou de vieux parchemins pour doubler les plats ou le moment où des feuillets volants épars viennent se mélanger aux cahiers tenus pour enregistrer les actes des sacrements.

On y trouve pêle-mêle des considérations ou observations sur les petits et grands événements du village, de la province ou du royaume, la recension de phénomènes notables, des comptes ou aide-mémoire de dépenses ou de frais encore dus, des listes d’indigents et des distributions de pains ou d’aide qui leurs sont apportés, des recettes de remèdes divers ou des essais de plume et de calligraphie. Et bien d’autres choses encore.

J’aime beaucoup pour ma part tous ces écarts au formalisme ronronnant des actes. Petites pauses légères ou plus tragiques dans l’énumération de vies réduites à ces trois grands marqueurs que sont le baptème, le mariage et la sépulture. Ces écrits, dont la forme n’est pas contrainte, offrent des instantanés de la vie quotidienne d’autant plus précieux qu’ils sont rares par ailleurs.

Ainsi, cette famille de paroissiens croquée par le curé de Bridoré sur les plats de son registre qui laisse apercevoir la délicatesse de la coiffure de la dame.

Archives d’Indre-et-Loire, Bridoré, registre des baptêmes, mariages, sépultures, 1646-1663 – cote 6NUM7/039/005 vue 35.

Pour ce challenge AZ c’est un aspect plus original que j’ai retenu et qui s’offre à nous à travers trois pages fort mal en point d’un registre de la paroisse Saint-Aubin de Courbillac en Charente : la vie musicale du XVIIe siècle et l’écho des grands et petits airs de cour jusque dans les campagnes du royaume.

Archives départementales de la Charente, version numérisée déposée par l’Association généalogique de la Charente sur Généanet, référence AD16-10902, vue 66/183.

Une vingtaine de poèmes et chansons sont minutieusement collationnés sur deux feuillets reliés dans le registre paroissial et clôturant le cahier couvrant la période 1651-1683. La main est semblable à celle de Jean Loyseau, prêtre desservant de la paroisse de 1649 à 1708, sans qu’il soit cependant possible de l’affirmer avec certitude.

Outres ces airs, les pages contiennent aussi deux paragraphes à thématique religieuse qui semblent être des amorces de prêche, des comptes, une liste de noms et des essais d’écriture ainsi qu’une adresse au révérend père Didac de Cognac. Les deux feuillets sont très endommagés et ont été consolidés par de grandes bandes de papier blanc qui viennent sur le texte et en rendent la lecture complexe.

De ce fait, tous les airs n’ont pas pu être déchiffrés et seuls seize seront présentés. Viendront s’y ajouter six airs trouvés dans un registre de la paroisse de Verrières dans la Vienne et une chanson provenant d’un registre de Cléré-sur-Layon en Maine-et-Loire, repérés dans la rubrique Archives insolites de Généanet qui sont de même genre et même époque.

Bertrand de Bacilly, Les trois livres d’Airs regravez de nouveau en deux volumes augmentez de plusieurs airs nouveaux, de chiffres pour le théorbe, et d’ornemens pour la méthode de chanter, seconde partie. Paris, 1668. Gallica.

1 L’obligation à partir de 1668 de tenir les registres en deux exemplaires dont l’un sert de grosse devant être déposée au greffe et l’introduction du papier timbré en 1674 tendent à raréfier les digressions et divagations de plume les plus originales en formalisant le registre paroissial. Ne demeurent alors souvent que les paragraphes de considérations locales ou générales insérés entre les actes, souvent uniquement sur l’exemplaire conservé par le curé.

Illustration : Franciscus Gysbrechts, Nature morte en trompe-l’œil d’une armoire murale à moitié ouverte remplie d’instruments d’écriture, de plats en argent doré, d’un violon et d’un cor de chasse, vers 1675. Passé en vente à Londres chez Bonhams, le 4 décembre 2019 lot 24.

6 Comment

  1. Si on tenait le sagouin qui a collé du papier blanc !! 🤬 Excellente idée que ce thème 👍, et je regrette de ne plus avoir de piano pour écouter ces partitions retrouvées

    1. Il s’agit vraisemblablement d’une restauration ancienne (ou du moins je l’espère). Les AD de la Charente ont entrepris une vaste campagne de restauration et de numérisation des registres paroissiaux des collections communales, dont celui-ci fait partie. J’espère que ces papiers blancs pourront être retirés et une restauration plus discrète faite sur ces pages.
      Je trouve fascinant de pouvoir avoir un aperçu de ce qui se chantait et des airs musicaux qui circulaient, y compris dans ces villages. La bonne nouvelle c’est que j’ai pu identifier une grande partie de ces airs et que certains ont des interprétations actuelles. Il y aura donc aussi de la musique à écouter dans ce challenge.

  2. Voilà un très joli thème pour ce challenge qui sera parfaitement réussi. J’écoute ces extraits musicaux qui résonnent en écho avec les billets que j’écris sur mes ancêtres parisiens à la même époque. Et surprise, chez moi, il y aura des organistes, compositeurs et un maitre à danser

    1. Merci. Je trouve surtout fascinant d’entre-apercevoir l’environnement musical, pas seulement de la cour, mais aussi dans ces petits villages où ces curés ont copiés ces airs.

  3. Passionnante découverte ! connaître les airs « à la mode » dans nos campagnes et sur un de mes secteurs de recherches personnelles (la Charente) : je vais suivre attentivement.

    1. Merci Murielle. C’est en effet ce que je trouve de plus fascinant dans cette affaire, ces vers gribouillés dans ces registres sont une fenêtre ouverte sur le payasage musical de l’époque.

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