Pastorale
Depuis que j’ayme Lizette,
Je souffre nuit et jour les plus cruels tourmens.
Dans les plus doux plaisirs mon âme est inquiette.
Hélas ! que mon coeur vous regrette,
Tranquilles jours, jours heureux et charmants
Où je n’aimois que ma muzette.
L’Astrée d’Honoré d’Urfé, roman fleuve à tiroirs où s’entremèlent une quarantaine d’histoires au fil de ses quelques cinq milles pages et soixantes livres, publiés entre 1607 et 1627, a popularisé le motif pastoral, inspiré des bucoliques antiques, où des bergers et bergères d’opérette dissertent de tout et surtout d’amour dans des paysages charmants et délicats qui ne gardent de la campagne que de jolis moutons blancs. Cette mode touche alors tous les arts, de la littérature à la peinture, en passant par la musique, et essaime jusqu’au début du XIXe siècle. Les traces de cette galanterie pastorale se retrouvent encore dans nos chansons pour enfants Il était une bergère et Il pleut, il pleut bergère.
Ce pastoralisme mondain touche aussi les instruments de musique et notamment la musette que le berger amoureux regrette dans cet air d’avoir délaissée pour succomber aux charmes de Lisette. La musette est un instrument à vent, de la famille des bois, sorte de flûte au son proche du hautbois. Ce pipeau est l’attribut par excellence du berger, mais, si l’on ne rechigne pas à se déguiser en gardien de moutons et à porter la houlette, l’usage de la flûte est considéré comme trop grossier en ce qu’il déforme le visage lorsque l’on souffle. La musette des champs va alors devenir la musette de cour, sorte de petite cornemuse savante alimentée par un soufflet.
Mais comme il fallait souffler pour jouer de cet instrument et que cette fatigue était accompagnée d’une très mauvaise grâce, afin de se rendre autant qu’agréable, on a trouvé le secret depuis 40 ou 50 années, d’y ajouter un soufflet, que l’on a emprunté des orgues, par le moyen duquel on le remplit d’autant d’air que l’on veut, sans prendre d’autre peine que celle de lever doucement, ou d’abaisser le bras qui le conduit.
Charles-Emmanuel Borjon de Scellery, Traité de la musette, imprimé chez Jean Girin et Bathélemy Rivière, à Lyon, en 1672.
La musette est un instrument de cour par excellence, richement décoré, et fabriqué dans des matériaux précieux, ivoire, ébène, velours comme sur ces illustrations. Elle figure en bonne place dans les décors et boiseries de Versailles ou Rambouillet. Le répertoire pour la musette se développe à partir de la fin du XVIIe siècle et connaît son apogée au XVIIIe, allant des petits airs (la musette donne d’ailleurs son nom à une danse de cour très en vogue, proche de la gavotte) aux concertos et sonates. Lully ou Rameau l’utilisent également dans leurs opéras. Elle disparaît peu à peu à partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle et la fabrication de musettes de cour cesse dans les années 1780. Ne subsiste alors que sa forme populaire que les auvergnats montés à Paris popularisent dans les fameux bals-musette.
Lisette pour sa part est l’archétype de la jeune bergère, inconstante et légère. Les airs la mettant en scène sont nombreux. Cet air-ci, d’un auteur anonyme, a été publié en 1686 par Chistophe Ballard, imprimeur du Roi pour la musique, issu d’une longue lignée d’imprimeurs de musique. La partition ci-dessous utilise encore la typographie musicale typique avec ses notes en forme de losange créée par son arrière-grand-père Robert Ballard vers 1550.
Partition de l’air « Depuis que j’aime Lisette » publiée par Christophe Ballard dans le XXIXe Livre d’airs de différents auteurs à deux & trois parties, Paris, 1686. Bibliothèque nationale de France.
On le trouve, comme l’air précédent, repris par Madame d’Aulnoy dans la nouvelle le Marquis de Leyva dans le recueil des Nouvelles espagnolles, paru en 1692.
En voici une interprétation par Le duo Faenza, Marco Horvat & Francisco Mañalich, album Délire des Lyres, éditions Hortus 2020.
Pour en savoir plus
Jean-Marc Onkelinx, Un jour un chef d’oeuvre, à propos du portrait de Gaspard de Gueidan par Hyacinthe Rigaut, sur le blog En avant la musique.
Illustration : Portrait du président Gaspard de Gueidan en joueur de musette par Hyacinthe Rigaud, 1735. Aix-en-Provence, musée Granet.
Agréable challenge musical, et très intéressée par l’historique de cet instrument
J’aime pour ma part beaucoup la raison ayant conduit à son invention : gonfler ses joues pour souffler c’est trop vulgaire !
Le documentaire le souffle du facteur, réalisé en 1999, (dont je n’ai vu qu’un extrait en préparant cet article) retrace le parcours d’un facteur de flûtes, René Lot, descendant des Hotteterre, famille de facteurs d’instruments du XVIIe à qui on attribue sinon l’invention du moins le perfectionnement de la musette de cour (et l’invention du hautbois) pour recréer cet instrument. La musette qu’il réalisa peut se voir au Musée des instruments de musique à La Couture-Boussey en Normandie. https://www.lemiv.fr/fr/notice/2013-1-1-musette-baroque-14c9bfb8-24e8-4409-8a45-a7fad6c3895e