Les gens de loi dans le comté de Hainaut
Point de notaires en Hainaut. C’est là l’une des particularités les plus marquantes de la province au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime. Toutes les autres provinces des Pays-Bas connaissent le notariat, Luxembourg, Brabant, Flandre, Artois, Tournaisis, et il est également florissant dans la principauté de Liège. De son côté, le Hainaut a, en la matière, développé des institutions originales qui perdureront jusqu’à l’annexion française.
Il est en Hainaut tout à fait possible de passer actes directement entre personnes privées, y compris pour les promesses et traités de mariage, sous réserve que les parties y manifestent leur consentement en signant ou en apposant leur sceau et que les actes soient établis en présence de témoins (Chartes générales de 1619, chapitre XXIX, article 2)1. Pour être exécutoires en cas de litige, de tels actes doivent préalablement avoir été reconnus par les signataires par-devant une autorité judiciaire ou un officier de justice. Leur validité légale ne tient donc qu’à la bonne foi des parties et reste inférieure aux actes instrumentés par les officiers de justice. Ces actes sous seing privé sont nombreux en Hainaut pendant toute la période médiévale et jusqu’au XVIe siècle et restent reconnus jusqu’au XVIIIe siècle.
Progressivement pour toutes les actes en forme d’obligation, le recours aux officiers de justice devient obligatoire pour rendre ces actes valides et exécutoires. Les Chartes générales énumèrent ces officiers de justice.
Toutes obligations pour estre exécutoires debvront estre cogneues et passées par devant hommes de fiefz, jurez de franche ville, eschevins du lieu où elles se feront ou sur le seel et signature de l’obligé (…)
Chartes générale du comté de Hainaut, 1619, chapitre CIX, article 2
Les échevins
L’échevin dans le comté de Hainaut est tout à la fois un officier communal, un juge ordinaire et un officier de justice. Comme officier communal il gère les biens et le patrimoine de la ville, administre les biens des fabriques, des hôpitaux et de la table des pauvres et exerce les droits de police, réglementant la vie communale. Comme juge ordinaire, il juge en matière civile exclusivement, la justice pénale étant réservée au Comte et aux seigneurs haut-justiciers, à la Cour de Hainaut et ses officiers ordinaires2. L’échevin juge en matière d’actions personnelles (partages, donations, successions etc) et de biens de mainferme, qui sont les biens roturiers, par opposition aux fiefs et alleux dont la juridiction relève exclusivement des hommes de fiefs et des cours allodiales. Il est par ailleurs systématiquement chargé de la tutelle des mineurs orphelins dans sa juridiction.
Enfin, comme officier de justice il exerce la juridiction gracieuse, instrumente, authentifie et enregistre toute obligation portant sur des biens de mainferme ou biens meubles : testaments, douaires, dots, donations entre époux ainsi que les achats, ventes, partages, arrentements, accensements de maisons, terres et prés, baux, contrats de louage, créances etc.
Les jurés de cattel
Le juré de cattel est un office propre à la coutume de Valenciennes, qui n’existe nulle part ailleurs en Hainaut. Les cattels désignent les biens meubles. On trouve souvent le mot dans l’expression joyaux et cattels dans les actes pour désigner les biens meubles sous toutes leurs formes, les cattels étant souvent des immeubles auxquels on donne l’effet de biens meubles comme les bois, grains sur pied et certains éléments de bâtiments comme la meule d’un moulin, leur définition variant d’une coutume à l’autre et se prêtant à d’innombrables arguties juridiques.
Le juré de cattel est donc un officier de justice habilité à traiter des conventions mobilières et à rédiger et enregistrer les actes s’y rapportant. Les échevins de Valenciennes après la fin de leur mandat d’échevin demeuraient à vie juré de cattel.
Les eschevins durant leur tems d’eschevinage peuvent recevoir tous contractz et conventions mobilières, et aussi après leurdit eschevinaige expiré, demeurent le parfaict de leurs vies jurez de cattel, et en ceste qualité peuvent recepvoir et passer tous contractz et recognoissances mobiliaires seulement, pourveu qu’il y ait deux jurez du moins à ce faire.
Coutume de Valenciennes de 1540, article 57.
Les hommes de fief sur plume
Les hommes de fief sont à l’origine les vassaux des seigneurs et tout d’abord du premier d’entre eux, le Comte de Hainaut, et siégent à ce titre à sa cour de justice pour juger des causes féodales selon le principe du jugement par les pairs, mais également de toute matière que la cour avait à connaître. La cour souveraine de Mons est ainsi composée du grand bailli et de douze hommes de fief.
Dès le Moyen Âge, l’habitude est prise de faire authentifier les actes passés entre particuliers par devant les hommes de fief. Les actes sont consignés par écrit par des clercs lettriants en présence des parties et des témoins privilégiés que sont les hommes de fief qui sont, de par leur position, les garants du contrat et de ses obligations. Pour en assurer la validité, ils apposent leur sceau personnel sur le document. Un homme de fief n’intervient jamais seul. Le nombre de témoins requis dépend de l’acte et est fixé par la coutume.
Avec la multiplication du recours à l’écrit pour régler les relations interpersonnelles, le besoin croissant d’hommes de loi pour authentifier les actes de droit privé va conduire à la création d’une catégorie particulière d’hommes de fief, les hommes de fief sur plume. Comme il n’est pas possible de multiplier les fiefs, on en vient à investir ces nouveaux officiers sur une rente viagère annuelle prélevée sur deux chapons prélevés sur un fief relevant directement de la cour féodale du Hainaut.
Devenu par ce subterfuge vassal du comte pour un arrière-fief, l’homme de fief sur plume peut exercer pleinement son office tout comme un homme de fief sur fonds. Il semblerait que cette pratique se développe dès le XVe siècle. Au fil du temps, la rente ne sera plus assise que sur un chapon puis sur une simple plume de chapon et au XVIIIe siècle, il ne s’agit plus que d’un centième de plume de chapon. Au fur et à mesure que l’investiture devient de plus en plus symbolique, l’office se professionnalise. Quand les hommes de fief sur fonds pouvaient être illettrés3, les hommes de fief sur plume doivent se soumettre à un examen préalable avant de prêter serment.
Tentatives d’introduction du notariat
Les notaires apostoliques et impériaux
Le notariat n’est pour autant pas totalement inconnu en Hainaut. S’il est fait défense dans les chartes générales de faire établir des actes par notaires ou hommes de lois d’autres villes ou provinces hors du comté de Hainaut, on a parfois recourt aux services des notaires apostoliques et impériaux. Ils n’agissent jamais seuls, mais toujours en renfort des hommes de fief. Cela semble rester une pratique marginale pour laquelle je n’ai guère d’explication, sauf à vouloir solemniser encore plus l’acte ainsi rédigé sous double autorité des hommes de fief et du notaire apostolique.
En Hainaut français
Lorsqu’il tente de supprimer ces usages d’hommes de loi dans le Hainaut fraîchement conquis, le roi de France se heurte à une franche opposition des populations, très attachées à leurs coutumes. Par édit d’avril 1675 est établi un compromis qui fait obligation aux notaires fraîchement créés de se faire également investir hommes de fief et de se faire accompagner d’un homme de fief pour la rédaction de tout acte dans la province du Hainaut. Les échevins de village ont désormais interdiction de rédiger actes et contrats. Seuls les échevins des villes closes disposent encore de ce privilège aux côtés des notaires.
Deux exceptions à cela : dans le ressort des villes de Landrecies, Avesnes et Le Quesnoy ne peuvent officier que les notaires, institués dès 1661, quand dans les villes et villages acquis par le traité des Limites de 1769 échevins et hommes de fief conservent pleinement leurs privilèges d’officiers publics.
Les hommes de fief sont définitivement supprimés comme officiers de justice par les lois des 4 août 1789 et 7 septembre 1790 et comme officiers publics par celle du 29 septembre 1791 sur le notariat. La loi du 14 décembre 1789 supprime quant à elle la fonction d’échevin.
En Hainaut espagnol puis autrichien
Philippe V nouvellement arrivé sur le trône d’Espagne va engager de nombreuses réformes administratives dans les provinces des Pays-Bas : introduction du droit de papier timbré en 1703 et réforme du notariat en 1704. L’édit du 20 juin 1704 révoque tous les notaires existants aux Pays-Bas et crée de nouvelles charges notariales royales et héréditaires, mises en vente pour supporter les frais de la guerre de Succession d’Espagne. Par son article 21, il fait défense de passer acte ou contrat si ce n’est devant ces nouveaux notaires royaux.
Devant l’opposition que rencontre cet édit en Hainaut, le roi fait rapidement amender ces dispositions, suivant en cela l’usage en vigueur dans le Hainaut français, en faisant, par ordonnance du 2 janvier 1705, obligation aux notaires royaux de se faire admettre comme hommes de fief et s’adjoindre les services d’un homme de fief pour la rédaction de tout acte dans le comté de Hainaut. Les Etats de Hainaut obtiendront finalement de l’empereur Charles VI la révocation de tous les notaires dans la province en 1712. L’édit du 10 décembre 1728 de ce même empereur sur le tabellionnat ne sera de même jamais appliqué au Hainaut.
Après l’annexion française, l’arrêté du 3 prairial an III (22 mai 1796) supprime et rend vacants tous les offices et emplois de notaires, tabellions et hommes de fief dans les départements réunis au profit des nouveaux notaires instaurés par la République. On trouve parmi ces nouveaux notaires comme parmi les juges de paix nouvellement créés dasn le département de Jemappes de nombreux anciens hommes de fief sur plume, consacrant l’évolution de cette fonction féodale à l’origine vers le métier d’homme de loi.
Pour le généalogiste
Les actes des hommes de fief sont à l’origine tenus en double ou multiple originaux, sur parchemin, souvent sous la forme de chirographes. L’homme de fief n’étant qu’un témoin privilégié dont le sceau authentifie le document, il n’en tient pas de minutes et ne garde aucune trace par devers lui des actes remis aux parties. Dans certaines occasions, il était possible de faire rédiger des embrevures ou embrefs, sortes de documents préparatoires préalables à l’établissement de l’acte définitif sur parchemin, ainsi nommés car ils comportaient nombre de clauses sous forme d’abbréviations et ne portant que la signature des hommes de fief.
Les archives de l’Etat à Mons conservaient une collection très importante d’actes passés devant les hommes de fief de plus de 20 000 pièces du XVe au XVIIIe siècle, le plus souvent extraits d’archives judiciaires et familiales. Elles ont été détruites dans l’incendie des archives provoqué en mai 1940 par les bombardements allemands tout comme les 17 registres de création des hommes de fief entre 1566 et 17944. On peut encore trouver quelques documents isolés.
Les actes des échevins étaient généralement conservés dans les fermes (armoires) de la cour échevinale. Là encore de nombreuses pertes et destructions du fait du temps et des guerres comme dans tout le nord de la France. Lorsque ces archives ont été préservées, comme à Jemappes, elles sont d’une grande richesse.
Pour en savoir plus
Armand Louant, Les hommes de fief sur plume créés à la cour féodale de Hainaut de 1566 à 1794. Origine du notariat en Hainaut. Répertoire. Recueil des Tablettes du Hainaut. Hombeek (1960) (compte rendu par Pierre Pietresson De Saint-Aubin dans la Bibliothèque de l’Ecole des Chartes, 1961, volume 119, pp. 330-332.)
Gérard Sivéry, L’activité d’une cour rurale au Moyen Âge : l’échevinage du chapitre Saint-Géry de Cambrai à Neuville-Saint-Rémy de 1277 à 1286 dans Revue du Nord 2001/1, pp. 9-24.
Jean-Pierre Niebes, Profils des juges de paix du département de Jemappes du Directoire à l’Empire (1795-1814) dans Les praticiens du droit du Moyen Âge à l’époque contemporaine, 2008, Presses universitaires de Rennes.
Philippe-Antoine Merlin, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, 4e édition, 1812-1825
- article Hommes de fief
- article Juré de cattel
1 En matière de promesses de mariage, le droit hennuyer reconnaît aussi la validité des promesses orales : « S’il n’y avoit lettres ny escrit des promesses de mariage fors recognoissance, ou que le poursuyvant le volzist référer au serment de sa partie, il en pourra faire poursuyte pardevant tel juge que bon luy semblera, sans qu’il soit besoing en avoir lettres. » (Chartes générales de 1619, chapitre XXIX, art.3)
2 Grand baillage de Hainaut, prévôtés de Mons et de Valenciennes, de Bavay, Quévy, Maubeuge et Binche, et châtellenies de Bouchain, Ath, Lessines et Braine-le-Comte.
3 L’article 4 du chapitre CIX des Chartes générales de 1619 va même jusqu’à écarter les hommes de fief ne sachant ni lire ni écrire de l’authentification des actes, sous peine d’amende : « Les hommes de fief de nostre Comté de Haynau et Cour de Mons ne sçachans lire n’escrire ne se pourront trouver à passer quelque obligation ny aultres actes et convenances sur l’amende de vingt livres tournois pour la première fois et pour la seconde d’en estre puny et corrigé oultre ladicte amende à l’arbitraire du juge ».
4 Fort heureusement, les archivistes montois les avaient dépouillés et en avaient résumé le contenu sur des fiches qui ont été retrouvées et publiées par Armand Louant dans son ouvrage de référence sur les hommes de fief. Pour chaque homme de fief était reporté la date de son admission par serment, sa profession et le nom de ses parents.
Illustration : Marinus van Reymerswale, Les hommes de loi, 1542 – Musée d’art de la Nouvelle Orléans
Très intéressant !
Merci pour toutes ces infos.
Merci. Quand j’ai commencé les recherches généalogiques pour la branche paternelle de mes enfants, je me suis rapidement retrouvée dans un monde inconnu sans plus aucun repère familier : pas de notaires, des hommes de fief dont j’ignorais l’utilité, des actes exotiques dont je ne comprenais pas la portée. Bref j’étais perdue et il m’a fallu du temps pour trouver les informations nécessaires pour reprendre la route. Ce challenge m’oblige à ordonner ces connaissances acquises au fur et à mesure, essentielles pour s’orienter dans les actes et archives du Hainaut avant la période française et j’espère que cela pourra être utile à d’autres.
Encore un article très intéressant.
Pour le notariat en Hainaut sous l’ancien régime, il y a quelques notaires à certaines périodes (notamment entre 1704 et 1713). Il y a aussi des curés-notaires (région de Charleroi notamment)
Pour l’échevinage, il reste certaines choses. Je citerai notamment les contrats de mariages, testaments, partages et avis de père et mère (classés dans la ville de Mons, sur Familysearch). Publication en cours des contrats de mariage et testaments par moi-même dans le bulletin généalogique hainuyer édité par l’Association Généalogique du Hainaut Belge (la plupart des CM et testaments postérieurs à 1600 ont été dépouillés)
Juridiction différente mais qui fait partie du Hainaut Belge actuel : Tournai et le Tournaisis. On y trouvait des notaires et un tabellion. Malheureusement, la seconde guerre mondiale a fait disparaître de très nombreuses choses.
Il faut de toute façon exploiter tous les inventaires consultables sur search.arch.be qui permettent de retrouver les archives de l’ancien régime et de préparer une visite dans les dépôts d’archives. Il faut aussi des bénévoles pour dépouiller tous ces actes anciens, le travail est immense mais très peu de gens pour s’y atteler…
En effet, les notaires pour 1704-1712 correspondent à la réforme de Philippe V. Trente charges furent créées et vendues durant cette période. Le Tournaisis en matière de droit et d’organisation juridique forme un ensemble à part pendant cette période.
C’est une très bonne nouvelle cette publication des contrats de mariage et testaments passés devant les échevins de Mons. Je ne me suis pour l’instant penchée que sur les contrats, formortures et mises hors de pain passés devant les échevins de Jemappes qui sont aussi accessibles sur FamilySearch. L’accès à ces documents n’est pas toujours simple, FamilySearch proposant une classification parfois assez déroutante et variable d’un lieu à l’autre. J’espère que la refonte du site des archives de l’Etat améliorera l’accès à ces archives numérisées. Elles méritent que l’on s’y penche.
Dans les prochains jours, je présenterai quelques uns de ces actes propres au Comté de Hainaut 🙂
Pour l’instant, n’étant pas sur place je ne travaille que sur les sources numérisées et accessibles en ligne. J’espère un jour pouvoir aller sur place et approfondir mes recherches.
Et bien c’est un article qui tombe à point nommé !. J’essaye de retrouver les traces de familles de la Thiérache et notamment de Momignies qui sont parties s’installer près de Thionville pour repeupler après 1687 le territoire qui a souffert de la guerre de Trente Ans. Donc finalement, si je comprends bien, j’aurais donc du mal à retrouver de quelconques actes passés devant échevins sauf grande surprise.
Il faudrait que je me renseigne auprès des archives du Nord pour ceux qui venaient de Wallers-Trélon, Anor ou Fourmies.
A bientôt !
Les archives scabinales sont souvent celles qui sont le mieux conservées. Pour certaines paroisses même en Belgique après les destructions de la guerre, il subsiste des séries magnifiques.