Air de cour
Est-on sage en le bel âge ?
Est-on sage de n’aimer pas ?
Que sans cesse on s’empresse
A goûter les plaisirs ycy bas ;
La sagesse de la jeunesse
C’est de scavoir jouir de ses apas.

Cette chanson est un air de cour, le menuet de Flore, tiré du prologue de la tragi-comédie et ballet à machines Psyché. Psyché est une commande de Louis XIV pour le carnaval de 1671, destinée à réutiliser les machines construites aux Tuileries1 par Carlo Vigarani, ingénieur italien et intendant des Machines et Menus-Plaisirs du roi, pour l’Hercule amoureux de Cavalli en 1662 et notamment le grandiose décor des enfers avec sa mer de flammes animées ouvrant sur le palais de Pluton. Racine proposa Orphée, Quinault l’Enlèvement de Proserpine mais c’est le sujet présenté par Molière qui fut retenu : les Amours de Psyché et Cupidon venaient d’être remis à la mode par Jean de La Fontaine dans un roman librement inspiré d’Apulée publié en 1669 et on peut y lire une allégorie voilée aux amours du roi et de Madame de Montespan. Si le thème de la pièce en revient à Molière, l’oeuvre est polyphonique : la mise en musique est de Jean-Baptiste Lully, les vers furent écrits par Molière avec le concours de Corneille et du librettiste Philippe Quinault pour les parties chantées tandis que les ballets en étaient réglés par le maître à danser Pierre Beauchamp.

Mais Psyché est surtout une super-production grandiose. Le spectacle mêle théâtre en vers, intermèdes musicaux et ballets sur une durée de plus de cinq heures et réunit sur scène près de 350 danseurs, chanteurs – dont treize solistes-, comédiens et musiciens. Les comptes du premier gentilhomme de la chambre, Louis Marie Victor d’Aumont feraient état d’un total de plus 334 000 livres dépensées pour ce spectacle, en faisant l’une des productions les plus chères de son temps2.

La mise en scène est grandiose. S’il ne reste malheureusement rien des décors, ni d’illustration de cette Psyché, le père jésuite Claude-François Ménestrier qui a assisté à la représentation de Psyché en fait une description détaillée qui donne une idée de la démesure de ces représentations.
Quand on veut commencer d’abord par un grand spectacle, l’ouverture se fait par un grand nombre de personnes de différents états, afin que la diversité des habits arrête les yeux comme le grand nombre de musiciens et de concertants charme les oreilles par une pleine symphonie.
Traité Des ballets anciens et modernes selon les règles du théâtre (1682) par le Père jésuite Claude-François Ménestrier.
Ainsi au ballet de Psyché dansé devant sa Majesté au mois de janvier l’an 1671, la toile qui fermait le théâtre étant levée, il parut sur le devant de la scène des lieux champêtres. Un peu plus loin parut un port de mer fortifié de plusieurs tours. Dans un renfoncement on vit d’un côté un grand nombre de vaisseaux, et de l’autre une ville d’une très vaste étendue. (…)
Ce spectacle est grand, il remplit l’imagination, il prépare à de belles choses, mais on en cherche la liaison avec le sujet, et l’on ne voit point ce que font là ces vaisseaux, cette mer, ce port et cette grande ville, où personne n’entre et d’où personne ne sort. Ils ne sont là que parce qu’on a voulu qu’ils y fussent.
Ce qui suivait était bien plus propre au sujet. Une grande machine descendit du ciel au milieu de deux autres plus petites. Elles étaient toutes trois enveloppées d’abord dans des nuages qui, en descendant, roulaient, s’ouvraient, s’étendaient et occupaient enfin toute la largeur du théâtre. On découvrait une des Grâces dans chacune des petites machines, et la plus grande était occupée par Vénus et par son fils environné de six Amours. (…)
C’est ainsi que les ouvertures des ballets se doivent faire par des machines, parce qu’elles sont comme le mystère de toute la pièce, qui doit tenir du merveilleux pour préparer agréablement à tout le reste du spectacle.
Interprétation par le Boston early Music Festival Orchestra & Chorus sous la direction de Paul O’Dette et Stephen Stubbs en 2008. Carolyn Sampson, soprano dans le rôle de Flore.
Pour en savoir plus
L’Opéra baroque, article Psyché, en ligne sur le site du magasine.
1 La salle des machines des Tuileries, pouvait accueillir près de 4 000 spectateurs sous Louis XIV. La Convention y siègera à partir de 1793.
2 Antoine Provansal, Molière et l’argent : le coût du spectacle, article du blog de Gallica. La conversion en valeur actuelle monte à plus de 11 millions d’euros.
Illustration : fresque dite de Flore ou du printemps de la Villa Arianna découverte lors des fouilles archéologiques de l’ancienne ville de Stabiae (aujourd’hui Castellammare di Stabia), conservée au musée archéologique national de Naples.
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