Air de cour
L’amour désarme ceux qui ont des charmes,
L’amour désarme, cédons luy tous.
Nostre peinne serait veinne
De vouloir résister à ses coups.
Quelque chesne qu’un amant prenne,
La liberté n’a rien qui soit si doux.
Cet air est une variation sur la seconde partie du Menuet de Flore tiré de Psyché, comédie-ballet présentée dans le précédent article. Le premier vers inverse la proposition : dans le texte de Molière l’amour charme ceux qu’il désarme quand ici il désarme ceux qui font usages de leurs charmes. Variation phonologique par inversion charme/désarme confondus à l’oreille ou réelle volonté de changer le sens de ce vers, je n’ai pas trouvé trace de publication de cette version collationnée par le curé de Courbillac.
Lors de la représentation donnée devant le roi en janvier 1671, le rôle de Flore pour qui ce menuet a été écrit est tenu par Mademoiselle Hilaire1. Hilaire Dupuis de son vrai nom est chanteuse ordinaire de la chambre du roi depuis une vingtaine d’années et l’une des grandes cantatrices du temps. Fille du maître cabaretier Michel Dupuis installé dans le faubourg Saint-Germain où il accueille musiciens et chanteurs dans son établissement, elle étudie le chant avec Pierre de Nyert et Michel Lambert, son beau-frère, avant d’entrer au service de la Grande Mademoiselle, en 1651. A compter de cette date, elle interprète régulièrement, aux côtés de ses consoeurs Anne de La Barre et l’Italienne Anna Bergerotti, les grands rôles chantés des ballets du roi et notamment celui de l’Aurore dans les Plaisirs de l’île enchantée. Son timbre de soprano était si clair qu’elle était surnommée le cristal humain1.
Elle vécut quelques temps à Puteaux dans une maison achetée conjointement avec son beau-frère et son neveu par alliance, le compositeur Lully, et où elle se produisait, accompagnée par Michel Lambert au théorbe dans des compositions de celui-ci.
Solus Gallus Cantat. Il n’y a que le François qui chante. Je ne veux pas estre injurieux à toutes les autres Nations, en soûtenant ce qu’un Autheur a bien voulu avancer. Hispanus flet, dolet Italus, Germanus boat, Flander ululat, solus Gallus cantat. Je luy laisse toutes ces belles distinctions, & me contente d’appuyer mon sentiment de l’autorité de Luigi, qui ne pouvoit soufrir que les Italiens chantassent les Airs, apres les avoir oüy chanter à Mr de Nyere, à Mademoiselle Hilaire, & à la petite Varenne.
Discours de Monsieur de S. Evremont, sur les Opéra François & Italiens. A Mr de Boukinkan.
Mercure Galant, février 1683 [tome 2], p. 70-104.
Interprétation donnée en janvier 2018 par l’Orchestre Baroque des Conservatoires de la ville de Paris et d’Ile de France, sous la direction de Stéphane Fuget, mise en scène de Manuel Weber, gestuelle et prononciation restituée par Lisandro Nesis, chorégraphie de Sabine Ricou, soprano Sylvie Bedouelle.
1 Elle reçoit d’ailleurs pour couvrir les frais de costume liés à ce rôle la somme de 900 livres. S. Bougenot, « Psyché au théâtre des Tuileries, état officiel de la dépense faite pour représenter Psyché devant Louis XIV, en 1671 » dans Bulletin historique et philologique du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1891, p.77.
2 Elle meurt en 1709 en la maison des Nouvelles catholiques, rue Sainte Anne à Paris selon Auguste Jal, ce qui laisserait supposer qu’elle était protestante convertie. L’institution des Nouvelles catholiques fondée par le père Hyacinthe avait pour mission de réunir et de soutenir les protestantes converties. Celles sans fortune étaient reçues gratuitement, les autres payaient une modeste pension. L’œuvre était soutenue par Louis XIV par un don de 10 000 livres par an.
Illustration : Le Triomphe de Flore par Antoine François Callet, vers 1780. Musée du Louvre.
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