Olim meminisse

Forsan et hæc olim meminisse juvabit - Virgile (Enéide, I, 203)
La visite du prêtre de la paroisse
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Status Animarum, le registre méconnu

Parmi les registres paroissiaux que l’on trouve en Belgique, il en est un qui n’est guère familier au généalogiste habitué à faire des recherches en France : le Liber Status Animarum. Conservé pour plusieurs centaines de paroisses, tant dans les provinces francophones que flamandes, dans les anciens Pays-Bas espagnols comme pour la principauté de Liège, ce registre particulier dressant l’état des âmes de la paroisse est une source précieuse encore assez méconnue.

Origines

Il tire son origine d’une des prescriptions canoniques du Concile de Trente exigeant que le pasteur connaisse ceux dont il a la charge (23e session, 15 juillet 1563, décret de réformation, chapitre I). Mais le décret du concile restait muet sur la teneur et sur la façon dont il fallait collecter et enregistrer cette connaissance.

Le Saint-Concile de Trente oecuménique et général célébré sous Paul III, Jules III et Pie IV, souverains pontifes. Nouvellement traduit par M. l’abbé Martial Chanut, 1674.

Peu à peu, differentes pratiques vont se développer localement pour mettre en application ces préceptes dans le cadre de la réforme pastorale tridentine, et s’institutionnaliser dans un nouveau type de registre, le Status Animarum ou état des âmes. Impulsée par Charles Borromée lors des conciles provinciaux de Milan en 1574, la tenue de ce registre est consacrée par le Rituale Romanum de Paul V (qui canonisa Charles Borromée) en 1614, aux côtés des registres des décès et des confirmés et en sus des registres des baptèmes et des mariages déjà prescrits par le Concile de Trente. Cependant, il est possible d’en trouver de plus anciens en Belgique, comme celui dressé en 1592 à Gedinne dans le comté de Namur.

Tenir état des âmes

Le Rituel romain définit également l’information qui doit être collectée dans ces états des âmes et sous quelle forme.

Rituel ou cérémonial romain passé et mis en lumière par le commandement de N.S.P. le Pape Paul V, avec quelques exhortations & rubriques convenables à l’administration des Sacremens, avec un sommaire de la Doctrine Chrestienne & des exemples accommodéz aux matières qui y sont contenues. A Toulouse, 1616.

Le nom de chasque famille sera distinctement escrit au livre, en y laissant un espace de l’une à l’autre famille suivante, dans lequel espace le nom, surnom, et l’aage d’un chacun de ceux de la famille, ou des estrangers qui sont en icelle seront escrits.
Or ceux qui sont admis à la sacrée Communion, seront marqués de cette marque en marge du livre, C.
Ceux qui sont munis du Sacrement de Confirmation, auront pareillement cette marque, Chr.
Et ceux qui se seront transportés ailleurs pour y habiter, seront escrits un peu plus bas.

Mais de nombreuses pastorales, rituels d’évêques et statuts synodaux s’emparent également de ce sujet et prescrivent les formes à utiliser dans leur ressort jusqu’au début du XXème siècle, conduisant à une grande variété dans la forme de l’enregistrement des âmes d’une paroisse, des plus succinctes se contentant d’énoncer le nombre d’âmes, de communiants et de confirmés, aux tableaux les plus détaillés résumant tous les événements de la vie des paroissiens.

Status Animarum très succinct, paroisse de l’Immaculée Conception de Moignelée (province de Namur), 1779.

Un registre aux multiples usages

Uno verbo omnia bona et mala publica sue Parochie ut de ÿs Episcopus plene informetur.
(En un mot, toutes les bonnes et mauvaises choses de l’état de sa paroisse, afin que l’évêque en soit pleinement informé).

Introduction au Status Animarum de la paroisse de Hoves dans le comté de Hainaut, dressé en 1670.

Car si l’état des âmes sert avant tout au prêtre dans l’exercice de sa charge envers ses ouailles, c’est aussi un moyen de rendre compte à son évêque de son ministère ainsi que de la situation et des besoins de sa paroisse, soit lors des visites pastorales de ce dernier, soit lors des synodes diocésains. Mais bien d’autres usages en ont été fait au fil du temps et les prêtres indiquent souvent en introduction de leur Status Animarum à quelles fins ils établissent ce registre.

Religieux…

Ainsi à Longlier, le desservant de la paroisse nouvellement arrivé en 1723 commence-t-il par dresser à partir des registres laissés par ses prédecesseurs un état détaillé de ses paroissiens, préalable indispensable pour connaître ceux dont il a la charge et exhorte ses successeurs à poursuivre de même.

Si on veut prendre la peine de continuer cet usage, je crois qu’un curé trouvera une grande facilité pour connoitre ses paroissiens, et pour les expéditions des baptistaires dont ce livre servira d’index.

Status Animarum, paroisse de Longlier (province de Luxembourg), 1723

En 1799, à Villers-l’évêque dans la principauté de Liège, le nouveau curé loue le travail de ses prédecesseurs qui ont tenu des états des âmes pratiquement sans interruption depuis 1612, qu’il trouve très utiles pour faire les généalogies de ses paroissiens et connaître les empêchements de consanguinité qui se rencontrent très fréquemment dans la paroisse et se fait un devoir de donner pareille satisfaction à ses successeurs. Parfois l’état des âmes a pour vocation de pallier les destructions causées par les guerres incessantes qui ravagent les Pays-Bas espagnols. Ainsi à Gimnée dans le comté de Namur, le curé établit en 1640 « l’estat de la communaute de Gymnée tiré par relation des personnes pour avoir estés les registres perdus par l’injure des guerres » reconstituant ainsi les généalogies et les principaux événements des familles de sa paroisse depuis le début du XVIIème siècle.

… ou profanes

Dans la principauté épiscopale de Liège, il n’est pas rare de voir les Status animarum dressés également à des fins profanes pour répondre aux besoins de recensements du gouvernement, et en particulier pour l’établissement de la capitation en 1736 et 1762. Dans toutes les provinces, on trouve également trace du dénombrement de 1786 ordonné par l’Empereur Joseph II.

Dénombrement de Joseph II dans les registres paroissiaux de Clermont (province de Liège), 1786.
Dénombrement de Joseph II dans les registres paroissiaux de Herbeumont (province de Luxembourg) 1786.

Plus prosaïquement, à Houyet dans le comté de Namur, le curé se sert de son état des âmes pour tenir registre des droits mortuaires et casuels qui lui sont dus.

Status Animarum de la paroisse de Houyet (province de Namur), 1747-1749.

Diversité des états des âmes

Ces usages variés expliquent la grande diversité de ces registres tant sur leur forme que pour l’information que l’on y trouve et la période qu’ils couvrent. Certains sont une photographie à un instant donné de la population de la paroisse, d’autres sont complétés au fil des ans, parfois par plusieurs desservants successifs, des informations nouvelles, naissances, mariages, décès, arrivées ou départs de la paroisse etc., et constituent ainsi un tableau dynamique de l’évolution de la population sur des périodes souvent très longues. D’abord recueil de la situation des paroissiens au regard de la communion, ils peuvent, selon les pratiques locales, tenir autant du registre de population ou du recensement en ce qu’ils dressent le plus souvent un état des lieux des foyers de la paroisse et des personnes qui y sont rattachées, précisant leurs liens de parenté ou s’ils sont alliés, domestiques ou de passage, par rue, par quartier ou hameau, que du rapport social et sociétal décrivant la situation matérielle et morale des paroissiens.

A petitte bomale il ÿ a un censier, Son nom
est henrÿ Rolland tr. Sa femme damide tr.
il a chez soÿ deux grands fils, Jean, et
pierre tr. il a encor une petitte niece
appellée Marie Rolland Comm. absente
mr. a bomale

ordinairement il tient une servante p[resen]tem[en]t
Jehenne N. comm.
Et une henneresse ou une personne a garder
les betes à cornes qui ord[inaire]ment sont ignorante,
et qui demeure souvent sans ouïr messe partant
il ÿ faut veiller.

Status Animarum de la paroisse de Bomal (province du Luxembourg) 1682-1691.
Les abréviations rajoutées au fil des ans signalent les événements nouveaux : tr. pour trépassé, mr. pour marié. Le curé signale soigneusement qui dans ce foyer est communiant et qui ne l’est pas et note qu’il lui faut être attentif à la situation spirituelle des domestiques.

Une source précieuse mais rare

Ceci explique en partie la relative rareté de ces registres. De par sa nature, le livre des âmes n’a pas vocation à quitter la paroisse. Comme en France, les lois et décrets organisant le dépôt des registres paroissiaux aux greffes des juridictions dans les Pays-Bas espagnols ne concernent que les registres des baptèmes, mariages et sépultures. Les informations recueillies par le desservant dans le livre des âmes, habituellement dans la période précédant Pâques, en ce qu’elles touchent aux moeurs des paroissiens doivent être conservées dans les archives et soustraites à toute indiscrétion afin qu’il n’en soit pas fait mauvais usage1. Il se peut aussi que les registres périmés aient simplement été détruits. En Belgique l’obligation faite en 1856 de déposer toutes les archives des communes et paroisses explique sans doute leur présence en assez grand nombre aux Archives de l’Etat.

Epars et plus difficiles d’accès que les registres de baptèmes, mariages ou sépultures, ces Status Animarum sont assez peu exploités mais méritent amplement que l’on s’y intéresse. Le révérend père Roger Mols dans sa monumentale Introduction à la démographie historique des villes d’Europe du XIVe au XVIIIe siècle2 soulignait déjà en 1954 leur importance pour la connaissance démographique et statistique des populations anciennes. Pour le généalogiste, c’est une source supplémentaire et précieuse pour découvrir de nouvelles pistes de recherches, comprendre les dynamiques intra et interfamiliales ou brosser une image de la société dans laquelle vivaient nos ancêtres.

Pour la Belgique, les registres numérisés sont nombreux et accessibles sur le site des Archives de l’Etat. Malheureusement, le moteur de recherche ne permet pas d’y accéder directement et il faut pour chaque paroisse consulter les registres disponibles pour découvrir si un ou des livres des âmes existent, qui seront alors toujours rangés sous la catégorie « Extra ». Quelques registres publiés sous cette appellation sont en fait des registres de confirmation ou des listes de premiers communiants, la nature même du Status Animarum pouvant aisément amener à cette confusion.

Capture d’écran du site des Archives de l’Etat en Belgique, search.arch.be.

Aperçu de quelques états des âmes remarquables

Pour en savoir plus

Michard, Louis et Couton, Georges, « Les livres d’états des âmes. Une source à collecter et à exploiter« , dans Revue d’histoire de l’Eglise de France, 1981, vol. 179, pp. 261-275.

Neulat, Tony, « Les status animarum : un recensement avant l’heure« , dans La Revue française de généalogie, juillet 2020.

Les états des âmes en Italie :
« Une quête d’états d’âmes« , billet du blog Mes racines en Vénétie par Venarbol.

1 Cette obligation du secret est présente dans de nombreux rituels et réaffirmée dans le canon 470.
2 Recension de l’ouvrage du R.P. Mols par Pierre Goubert dans Annales, 1959, 14-2, pp. 373-377

Illustration : La visite du prêtre de la paroisse – Ecole napolitaine, XIXème siècle.

4 Comment

    1. Les états des âmes sont en effet très rares, du moins en ligne. Plusieurs articles laissent entendre que les archives diocésaines ou même les paroisses elles-mêmes pourraient en détenir encore beaucoup, ces registres n’ayant jamais été soumis à l’obligation de transfert aux archives. J’ai la chance d’avoir deux paroisses liégeoises où habitaient les ancêtres de mes enfants couvertes par des états des âmes et qu’en plus le curé y ait été relativement bavard (description complète de la maisonnée, domestiques compris).

  1. C’est en effet une source intéressante.. Plusieurs Status Animarum concernant le Hainaut ont été publiés dans la revue trimestrielle de l’AGHB.
    Pour les recherches, il y a moyen de faciliter les recherches : on choisit les registres paroissiaux d’une province. Ensuite, dans la colonne de gauche, on fait une recherche du terme « status » en choisissant « rechercher dans cet instrument ». On obtient une liste réduite aux paroisses dans lesquelles on trouve ces états des âmes.
    https://search.arch.be/fr/rechercher-des-archives/resultats/ead/zoekresultaat/zoekterm/status/eadid/BE-A0524_712079_712455_FRE

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