Les époux en Hainaut et dans les provinces voisines sont, du jour de leur mariage, en communauté de biens, pour tout ce qu’ils apportent en biens meubles et acquerront durant leur union, meubles comme immeubles, à l’exception des fiefs dont l’achat et la dévolution suivent des règles propres, et sauf dispositions contraires prévues au contrat de mariage. La part de chacun dans la communauté est égale selon les Chartes générales du comté de Hainaut et le mari est seul chef et administrateur des biens communs.
Au décès de l’un des deux conjoints, le devenir de la communauté et les droits du conjoint survivant sur les biens communs diffèrent d’une coutume à l’autre. Le droit général fixé par les Chartes est qu’au décès d’un des deux conjoints, la moitié des biens meubles, dettes et acquêts immobiliers de mainferme formant la part du défunt se transmet par succession à ses enfants et à défaut revient à ses plus proches parents. Cependant, plusieurs dispositions viennent compléter ce cadre général, le plus souvent dans l’intérêt du conjoint survivant.
Le ravestissement
Le ravestissement (ou entravestissement) que l’on trouve dans la plupart des coutumes de Hainaut, permet d’avantager le conjoint survivant, soit de plein droit, du fait de la naissance d’enfants, et l’on parle alors de ravestissement par le sang ; soit par acte volontaire en l’absence d’enfant, appelé ravestissement par lettres. Le ravestissement ne concerne que les biens meubles et immeubles de mainferme et les successions roturières. Les fiefs (quand bien mêmes ils ne seraient plus en mains nobles) en sont exclus.
L’effet du ravestissement par le sang est varié et va du seul usufruit des biens meubles ou immeubles (coutume de Mons) à l’attribution en pleine propriété de tous les biens meubles (coutume de Valenciennes) comme immeubles du ménage (coutume de Douai). Sa portée également diffère d’un lieu à l’autre, la plupart des coutumes tendant à encadrer l’avantage donné au conjoint sur les héritiers du défunt. Ainsi la coutume de Cambrai limite le ravestissement par le sang au premier mariage quand celle de Lille en restreint l’application aux seuls bourgeois de la ville. Effectif de droit dans les limites édictées par les coutumes, le ravestissement par le sang ne laisse pas de trace écrite, hors litiges successoraux.
A l’inverse le ravestissement par lettres, qui s’apparente à un don mutuel entre les époux en l’absence d’enfants, est strictement encadré dans ses formalités en particulier lorsqu’il dépasse le seul usufruit des biens. A Mons il doit se faire par chirographe devant quatre échevins ou hommes de lois, avec enregistrement dans un registre dédié.
Toujours, dans le ressort de la coutume de Mons, il est assez courant de voir ces clauses de ravestissement rappelées dans les contrats de mariage, notamment pour la jouissance des biens meubles, quand bien même cette jouissance est de droit si le couple a des enfants. Le plus souvent accompagnées de la mention « qu’il y ait génération ou non », la jouissance des biens meubles de la communauté par le conjoint survivant devient progressivement la règle de fait, qu’il ait eu ou non descendance.
En at estez devisez de part et d’autre desdits futurs conioings que le dernier vivant d’eux deux jouiroit de tous les biens meubles, cattels et joyaux qu’ils auront par ensemble.
Lesdits futurs mariants ont devisé, accordé et ordonné que le dernier vivant d’eux deux demeurerat en tous biens meubles et actions reputées telles sans que les parents du premier mourant puissent réclamer aucune chose et sans estre obligé à faire aucun ravestissement.
La formorture
Pour autant, si la coutume favorise le conjoint, elle ne le fait pas au détriment des héritiers du défunt et notamment des enfants. En effet, le conjoint survivant se trouve dans tous les cas en dette de formorture (de foris mortura, ce qui sort de la maison mortuaire) envers ses enfants : il leur doit la part de leur parent décédé sur les biens meubles de la communauté. La formorture veille à préserver les droits des enfants, notamment en cas de remariage. Le moment et la forme de la constitution de la formorture varie selon les coutumes.
Dans les coutumes prévoyant la transmission par ravestissement par le sang de la propriété des biens meubles du défunt au conjoint, la formorture désigne la part de ces biens qui revient aux enfants du couple après le décès du parent survivant, lorsque celui-ci s’est remarié (coutumes de Valenciennes, de Nivelles), qui sera retirée de la succession due au second conjoint ou aux enfants issus du second lit. On la trouve alors mentionnée principalement dans les contrats de mariage et les testaments. Il s’agit d’ordinaire de la moitié des biens meubles du décédé au jour de sa mort, quel qu’ait été l’état de ces biens lors du décès du premier parent.
Dans les coutumes où le ravestissement par le sang ne transmet que l’usufruit des biens meubles du défunt au conjoint, il est d’usage que, lorsque ce dernier se remarie, il fasse acte de formorture envers ses enfants. Cet acte est propre à la coutume de Mons dans sa forme et de par son caractère obligatoire, quelle que soit la fortune des conjoints. A défaut, les enfants du premier lit, ou le plus souvent les échevins en leur nom, peuvent contraindre par justice leur parent survivant à leur donner leur formorture ou parçon mobiliaire.
Cela se fait soit par acte de formorture devant notaire, échevins ou hommes de fief, soit par disposition particulière du contrat de mariage. Dans l’exemple ci-dessous, tiré du même contrat de mariage entre Hubert Haneuse et Gillette Croquet passé devant les échevins de Jemappes le 6 mai 1660, Gillette Crocquet, veuve de Jean Caudron s’acquitte de sa dette de formorture envers ses enfants François, Philippe, Simon et Antoine. La gestion des sommes dévolues aux enfants est confiée au receveur des orphes de la ville de Jemappes.
Item laditte Gillette a promis de donner ausdits François, Ph[ilippe], Simon, et Anthoine Caudron susdits, pour leur fourmorture pour une fois payer la somme de six livres tournois chacun, laquelle somme debvera estre delivrée tout prestement au receveur des orphes dudit Jemappes.
A noter que dans la coutume voisine de Namur, la formorture est due prioritairement au comte de Namur si le défunt n’est pas bourgeois de la ville. S’il est marié et a des enfants, le comte ne s’octroie que la moitié des biens meubles du couple.
Pour le généalogiste
Ces deux particularités du droit coutumier hennuyer sont importantes à connaître non seulement en ce qu’elles aident à comprendre l’organisation de la communauté conjugale et des solidarités familiales, mais aussi pour les actes qui en procèdent.
Dans le ressort de la coutume de Mons, les actes de ravestissement sont peu nombreux pour ce que j’en ai vu jusqu’alors, mais les clauses de ravestissement des meubles dans les contrats de mariage sont presque toujours présentes. Très certainement du fait que l’usufruit des biens de la communauté soit devenu progressivement la règle.
Les actes de ravestissement, en ce qu’ils sont réputés se faire à vest et devest, chaque conjoint se dévêtant de tous ses biens pour en revêtir le conjoint survivant, il n’est jamais établi d’inventaire après décès lorsque le premier conjoint meurt.
Le règlement des dettes de formorture laisse systématiquement une trace écrite quelle que soit l’importance des biens meubles du couple, soit par clause du contrat de remariage, soit par acte passé devant notaires, échevins ou hommes de fief. Là où les archives scabinales ont pu être conservées, on trouve de très belles séries d’actes de formorture. Ils sont souvent classés sous l’appellation « débiteurs », la formorture lorsqu’elle est réalisée en monnaie étant souvent confiée aux échevins comme tuteurs des enfants, à charge pour eux de la placer et de la remettre aux enfants à leur majorité, ou étant conservée par le parent sous garantie déposée auprès des échevins.
Pour en savoir plus
Loix, chartes et coutumes du chef-lieu de la ville de Mons et des villes et villages y ressortissans, avec plusieurs décrets en dependans ; si-comme des villes de Binch, Nivelles, Landrechies, Lessines, Chimay, Valenciennes, Cambray, Doüay, Tournay, La Bassée, du comté de Namur et du pays de Liège. Edition revue et corrigée. A Mons, de l’imprimerie d’Erneste de la Roche, 1700
Merlin, Philippe-Antoine, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, 5e édition, 1827-1828, tome sixième ENF-FOUR
- article Entravestissement
- article Fourmouture
Raoux, Adrien Philippe, Mémoire sur la nature de la fourmorture en Hainaut et dans les coutumes voisines, Mons, 1802
Illustration : (détail) Pieter II Brueghel – L’avocat de village, 1621. Musée des Beaux-Arts de Gand
Je me suis beaucoup intéressée à Condé-sur-l’Escaut (j’y avais consacré mon ChallengeAZ 2019) donc ces termes me sont très familiers. J’aurais beaucoup aimé avoir accès aux articles de votre Challenge à l’époque, cela m’aurait évité bien des questionnements 😅
J’avais lu votre challenge en 2019 lorsque je commençais mes recherches en Belgique et j’avoue qu’il m’a beaucoup aidée à l’époque. On boucle la boucle 🙂
C’est sympa de découvrir un vocabulaire nouveau, ou plutôt très ancien !