Les règles de succession dans le comté de Hainaut présentent d’intéressantes spécificités. On n’y hérite pas de la même façon selon qu’il s’agisse de biens meubles ou immeubles et pour ceux-ci, de fiefs, d’alleux ou de biens roturiers de mainferme, non plus que l’on soit de Mons ou de Valenciennes.
Dans tous les cas, et sous toutes les coutumes, les personnes entrant en religion, du moment où ils prononcent leurs voeux, sont tenus pour morts en droit et ne peuvent prétendre à aucune succession.
Succession des fiefs
Les règles sont, pour les fiefs et alleux, définies par les chartes générales et s’appliquent à tout le comté avec quelques légères variations. Pour les fiefs, prévaut le privilège de masculinité comme dans la plupart des provinces des Pays-Bas, sans pour autant totalement exclure les filles. Le Hainaut ne connaît pas non plus de droit d’aînesse absolu comme il peut se pratiquer en province de Liège : à l’aîné revient le meilleur fief et les fils suivants choisissent par ordre de naissance parmi les fiefs restants. S’il y a plus de fiefs que d’enfants mâles, on revient à l’aîné et on recommence à choisir par rang d’âge. En l’absence d’enfant mâle, d’un premier lit ou d’un remariage, la fille peut hériter des fiefs ou par disposition spéciale de partage fait par les parents conjointement sous forme d’avis de père et de mère.
Aucune représentation n’est admise en succession de fief, ni en ligne directe, ni en ligne collatérale. Si les enfants sont décédés avant les parents, les fiefs reviennent au plus proche héritier mâle en ligne collatérale du côté d’où le fief est venu.
Succession des alleux
Le ravestissement par le sang, la transmission au conjoint survivant du fait que le couple a eu des enfants, est de règle en ce qui concerne la succession des alleux patrimoniaux. En l’absence d’enfant, l’alleu retourne en succession collatérale du côté du conjoint décédé. Le conjoint survivant hérite également des alleux acquis durant le mariage.
A sa mort, la succession se fait par égalité entre tous les enfants, garçons comme filles. L’aîné héritant du privilège de haute justice et des rentes qui y sont attachées, ainsi que de la forteresse ou maison seigneuriale, en sus de sa part.
Les enfants issus d’un remariage sont exclus de la succession des alleux, tant patrimoniaux que d’acquêts, tant qu’il demeure un héritier issu du premier mariage, à l’exception des biens acquis ou hérités depuis le remariage qui ne se transmettent qu’aux enfants issus de celui-ci.
La représentation en ligne directe est de règle en matière d’alleux.
Succession des biens roturiers dits de mainferme
C’est en matière de mainfermes que l’on trouve la plus grande diversité de règles de succession dans les coutumes du comté de Hainaut.
Dans la coutume de Mons
La coutume de Mons applique le privilège de masculinité et n’octroie aux filles que la moitié de la part d’un fils. Elle n’admet aucune représentation en succession directe.
En succession collatérale, la représentation est admise. La succession des biens immeubles se fait par estoc ou par part au même degré de parenté, puis par tête, partage à parts égales entre les héritiers par représentation sur la part qui leur est échue quand celle des bien meubles se fait par tête uniquement entre tous les héritiers.
La succession sur les biens immeubles n’advient qu’au décès des deux parents, le conjoint survivant conservant l’usufruit de l’ensemble des biens tant meubles qu’immeubles de la communauté, qu’il y a ait remariage ou non. En ce qui concerne les biens meubles, lorsque le parent survivant se remarie, il se doit d’acquitter sa dette de formorture envers ses enfants.
En cas de remariage, la coutume de Mons différentie nettement les successions. Les enfants du premier lit héritent des biens de leur parent, hérités ou acquis durant le mariage ou pendant la période de veuvage qui l’a suivi. Les enfants du second lit héritent uniquement des biens de leur parent hérité ou acquis durant le second mariage.
Dans la coutume de Valenciennes
La coutume de Valenciennes ne connaît pas le privilège de masculinité et permet aux filles d’hériter à part égale avec les garçons. La représentation y est admise pour l’ensemble des successions, mobilières comme immobilières, en ligne directe uniquement.
La spécificité de la coutume de Valenciennes, comme de celles de Cambrai et de la châtellenie de Lille, en matière de succession est la reconnaissance du privilège de maisneté (ou maîneté) ou droit de juveigneurie. Il s’agit d’un droit de preciput accordé au cadet d’une fratrie, qu’il soit fille ou garçon, lui permettant de choisir et de préveler sur tous les meubles et immeubles une part avant tout partage de succession. L’origine de ce privilège est obscure. Il pourrait s’agir d’une compensation donnée au dernier-né aux avantages supposés des aînés, élevés et établis aux frais de leurs parents, quand le cadet souvent mineur lors du décès de ses parents devrait s’établir sur ses propres biens.
Sur les immeubles, le maîné pourra prendre la meilleure partie qui soit d’un seul tenant, qu’il s’agisse d’un bien ou d’une rentre immobilière. Sur les meubles de même, il choisira et prendra une pièce de chaque type d’objet ainsi que le détaille l’article CXXXV au chapitre XIX :
Et s’il y a vaisselle d’argent, de chacune qualité une pièce ; si comme de tasses, une tasse ; de gobelets, un gobelet ; de salières, une salière ; jaçoit qu’elles fussent de diverses sortes de façons, & ainsi de toutes autres pièces et ustencils de ménage.
Ce droit de maisneté est limité au cadet issu du premier mariage. Il doit s’exercer dans un délai de six semaines après le décès du parent pour ce qui est des meubles, d’un an pour les immeubles. Si le maîné est mineur, le droit est levé par le mayeur agissant pour le compte de l’enfant.
Le droit de maisneté ne peut en aucun cas entamer la légitime de chacun des héritiers. Il en est d’autant réduit si le restant des biens après sa levée est insuffisant pour assurer la portion légitimaire de chacun.
La coutume de Valenciennes est plus égalitaire que celle de Mons concernant les enfants de différents lits : la moitié des biens patrimoniaux ou acquis durant le mariage reviennent aux enfants issus de ce mariage, l’autre moitié est partagée à parts égales entre les enfants de tous les lits. Les biens acquis pendant une période de veuvage sont partagés entre tous les enfants.
En résumé
Pour aller plus loin
Merlin, Philippe-Antoine, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, 5e édition, 1827-1828
- Article Maîneté
Loix, chartes et coutumes du chef-lieu de la ville de Mons et des villes et villages y ressortissans, avec plusieurs décrets en dependans ; si-comme des villes de Binch, Nivelles, Landrechies, Lessines, Chimay, Valenciennes, Cambray, Doüay, Tournay, La Bassée, du comté de Namur et du pays de Liège. Edition revue et corrigée. A Mons, de l’imprimerie d’Erneste de la Roche, 1700.
John Glissen, Le privilège de masculinité dans le droit coutumier de la Belgique et du Nord de la France, dans Revue du Nord, 1961.
Illustration : Esaü vendant son droit d’aînesse par Hendrick Martenszn Sorgh