Un pays de coutumes
Les Pays-Bas sont pays de coutume. De nombreuses coutumes même puisque l’on en connaît près de 700 rédigées entre 1500 et 1750. Comme le dit l’adage de façon fort imagée, chake poéyis chake mode, chake cu chake crote ! Car des coutumes il y en a partout, dans chaque province, chaque baillage, seigneurie ou châtellenie, chaque ville ou bourg qui se respecte.
Quatre provinces se distinguent particulièrement : l’Artois avec 248 coutumes rédigées, la Flandre avec 176 coutumes, le Luxembourg avec 101 coutumes et le Brabant, Limbourg et Pays d’Outremeuse où l’on en compte 88, soit 87% de l’ensemble ! Et encore il ne s’agit que de celles mises par écrit, principalement au XVIe siècle suivant l’élan de codification impulsé par l’édit de Charles Quint du 7 octobre 1531 pour simplifier le droit1. Parmi toutes ces coutumes codifiées, 88 seulement furent finalement homologuées par l’empereur – 132 si l’on considère que les coutumes des châtellenies de Lille, Hesdin et Bergues-Saint-Winoc contiennent les dispositions particulières de 44 autres coutumes locales. Non pas que les coutumes non homologuées ne fussent plus appliquées, certaines au contraire demeurèrent fort vivaces, notamment en Brabant (Anvers, Bruxelles) ou en Hainaut (Le Roeulx, Enghien) et Tournaisis, mais de poids moindre en cas de litige devant les juridictions.
Ces coutumes ne sont certes pas toutes de même importance, certaines ne comportant que quelques articles faisant référence pour tout le reste à une autre coutume, mais chacune à sa façon définit le droit, et, au premier chef, le droit privé et notamment les rapports entre les personnes, le droit des successions, les droits et obligations du mariage ainsi que les procédures judiciaires.
Connaître le droit qui s’applique sur un territoire lorsque l’on fait de la généalogie c’est donc connaître le cadre juridique dans lequel évoluait nos ancêtres et qui régissait leurs relations familiales et extra-familiales. Mais c’est aussi savoir quels actes ils auront été amené à rédiger en toutes circonstances et selon quelle procédure, et donc savoir quels documents chercher et où les trouver.
Les inventaires après décès. Particularismes régionaux.
Le droit coutumier en Flandre et Brabant fait obligation au conjoint survivant de faire établir auprès des échevins de la ville un staat van goed ou état des biens meubles et immeubles revenant à ses enfants mineurs sur la succession du défunt, biens gérés en tutelle jusqu’à leur majorité, pour les protéger d’éventuelles fraudes.
Une telle disposition n’existe pas en Hainaut, le survivant conservant en règle générale le plein usufruit de l’ensemble des biens du couple, y compris la part revenant à leurs enfants, jusqu’à son remariage ou son décès. Et même alors, l’inventaire des biens reste une pratique rare, on lui préfère la garantie par témoins, parents proches ou tuteurs, de l’exactitude des déclarations des biens faites lors des successions ou constitution de formortures.
La coutume dans le comté de Hainaut
Le Hainaut a connu dès le XIIIe siècle une tendance à l’unification du droit coutumier à l’initiative des Etats de Hainaut. Ceci explique le faible nombre de coutumes particulières rédigées en réponse à l’édit de Charles Quint. A côté des Chartes générales de Hainaut et des coutumes des deux chefs-lieux du comté, Mons et Valenciennes qui furent parmi les premières homologuées par l’empereur, citons celles des villes de Lessines, Binche, Landrecies et Chimay, qui toutes font référence aux coutumes générales. Si la province compte peu de coutumes, certaines châtellenies ou villes suivent préférentiellement les coutumes d’autres provinces : ainsi Prisches adopte-t-elle les coutumes de Vermandois, allant jusqu’à les faires homologuer par l’empereur en 1564 quand d’autres suivent celles de Cambrai, Douai, Tournai ou La Bassée2. Et d’ailleurs, il est d’usage pour les juges, lorsque la coutume est muette, de faire référence à ces coutumes voisines, particulièrement à Mons, dont la coutume est particulièrement confuse et elliptique dans sa rédaction.
Les Chartes générales du comté de Hainaut se composent de la charte générale homologuées par les archiducs Albert et Isabelle en 1619 et des chartes et ordonnances antérieures3. Elles définissent les droits et juridictions de la province et notamment des Etats de Hainaut, les droits des seigneurs haut-justiciers ainsi que le droit des contrats et testaments mais ne concernent en matière d’immeubles que les biens tenus en fief ou alleu.
Les coutumes des chefs-lieux de Mons et Valenciennes, ainsi que les coutumes locales de Lessines, Binche, Chimay, Landrecies, Enghien et Le Roeulx, ne dérogent pas aux Chartes générales du comté de Hainaut mais les complètent en définissant le droit des biens immeubles roturiers dits de mainferme et des biens meubles . Elles précisent les règles matrimoniales et successorales en la matière ainsi que les droits et juridictions des échevins. Certaines contiennent également des éléments de procédure ou de style, définissant le type d’acte devant être rédigé et leur forme.
La définition du ressort de chaque coutume n’est pas simple et nombre de litiges portés devant les juridictions ne débattent que de la coutume devant s’appliquer, selon l’endroit où se situent les biens, la résidence ou l’origine des parties. Il n’existe pas de carte des ressorts coutumiers du Hainaut à ma connaissance et il faut se reporter aux listes de paroisses, villes et villages notées en tête des différentes éditions des coutumes pour s’en faire une idée, tout en gardant en tête que certaines localités se partagent entre coutumes selon que l’on habite dans les murs ou hors les murs (Morlanwez, Ath) ou selon le type de biens considérés (Virelles). Et bien sûr que certaines localités sont régies par les coutumes d’autres provinces.
Et ce n’est pas anodin car si elles sont toutes subordonnées aux Chartes générales, les coutumes locales présentent souvent de notables différences entre elles : selon la coutume de Valenciennes le conjoint survivant hérite de plein droit des biens meubles du prédécédé quand à Mons il n’en a que l’usufruit. Le droit de maisneté (part préférentielle sur la succession accordée au dernier né des enfants) s’applique pleinement dans le ressort de la coutume de Valenciennes mais pas dans celle de Mons.
Les litiges se jugent aux chefs-lieux, les chefs-lieux de Mons et de Binche étant souverains, jugeaient en dernier ressort. Valenciennes, tout comme Lessines située en Terre des débats4, fait exception en ce que les litiges étaient jugés en appel devant la cour de Malines et non à Mons avant l’annexion française5.
Pour en savoir plus
Loix, chartes et coutumes du chef-lieu de la ville de Mons, et des villes et villages y ressortissans, Mons, 1700.
Faider, Charles, Coutumes du pays et comté de Hainaut, Bruxelles, 1883. Introduction, tome premier : Sources et origines de la Charte générale de 1619, tome second : Chartes générales de 1619, tome troisième : Coutumes locales.
Gilissen, John, Les phases de la codification et de l’homologation des coutumes dans les XVII provinces des Pays-Bas dans la Revue d’histoire du droit, XVIII 1-3, 1950.
1 Pareille entreprise avait débuté dans le royaume de France dès 1454 et l’ordonnance pour la réformation des coutumes de Montils-lès-Tours, sur les mêmes motifs « voulans abréger les procez et litiges d’entre nos subjects et les relever de mises et despens et oster toutes matières de variations et contrariétez ».
2 Les éditions des XVII et XVIIIe siècles à destination des hommes de droit des chartes et coutumes de Hainaut comprennent très souvent aussi le texte de ces coutumes voisines.
3 Chartes de Baudoin de Constantinople de 1200, celles d’Albert de Bavière de 1391, la charte de Guillaume de Bavière de 1410, celle de Philippe le Beau de 1483 et les chartes générales homologuées par Charles Quint en 1534. Chacune résumant et complétant les précédentes, on peut considérer les chartes de 1619 comme l’état final du droit hennuyer.
4 Territoires contestés entre Flandre et Hainaut depuis le XIIIe siècle. Les Débats ne prirent fin qu’en 1737.
5 Après l’annexion, la coutume de Valenciennes sera reconnue par la France et restera en vigueur jusqu’à la promulgation du Code civil.
Illustration : Le Hainaut, peinture murale du jardin d’hiver de l’Institut des Ursulines par J.B. Walgraeve, Wavre-Sainte-Catherine. Photo : https://www.flickr.com/photos/sint-katelijne-waver
A la fois complexe et passionnant ! Ça donne des clés de décodage précieuses pour comprendre certaines clauses des actes notariés que nous retrouvons.
Tout à fait et les choses deviennent vraiment compliquées lors de mariages exogames, lorsque les conjoints possèdent des biens régis par différentes coutumes. Cela explique certaines successions apparemment inégalitaires (le droit coutumier hennuyer n’est pas du tout égalitaire en matière de succession, avec privilège de masculinité, maisneté, droits différents pour les enfants du premier et second lit etc).
C’est très intéressant de pouvoir comparer aux coutumiers des autres territoires. Merci pour cet éclairage très utile !
Les travaux de Merlin de Douai sur la jurisprudence et les coutumes sont un guide très précieux dans le labyrinthe des différents usages coutumiers. Si on prend la formorture par exemple, sous ce même nom se cachent des réalités juridiques fort variées selon les coutumes : pratique féodale de confiscation d’une partie de la succession à Namur, part réservataire aux enfants du premier lit sur une succession ou dette d’héritage envers ses enfants soldée lors du remariage du conjoint survivant. Et pour le coup cela donne lieu à l’établissement d’actes très différents.
Le droit coutumier est très aride, d’autant plus que la rédaction des coutumes n’est pas toujours très claire ni simple à aborder aujourd’hui et fait appel à un vocabulaire que nous ne maîtrisons plus (mention spéciale à la coutume de Mons dont la structure est confuse et la rédaction souvent ambiguë ou implicite. La coutume de Valenciennes à côté est d’une clarté appréciable.)