Le cerquemanage est une procédure judiciaire visant à vérifier ou établir les limites de biens fonciers par voie d’enquête effectuée par des officiers assermentés nommés francs-cerquemaneurs puis simplement arpenteurs jurés, en présence des hommes de lois. Selon la coutume du comté de Hainaut, le cerquemanage lorsqu’il concerne les fiefs, alleux ou les emprises de juridiction des seigneuries comme des diverses communautés, urbaines, villageoises ou ecclesiastiques, est du privilège exclusif de la cour souveraine de Mons. Les litiges sur biens de mainferme ou biens roturiers peuvent se traiter directement en première instance par la cour échevinale du lieu.
L’enquête de cerquemanage se fait toujours en public, en présence des échevins et hommes de loi du lieu et devant l’assemblée des habitants. Le cerquemaneur interroge la mémoire locale quant aux limites posées aux biens sujets du litige, et recueil les déclarations contradictoires des parties. Il étudie également sur le terrain les marques naturelles ou artificielles définissant ces limites. Il peut s’agit du lit d’une rivière, des routes, voies et sentes, mais aussi et surtout de bornes disposées à cet effet portant le plus souvent la marque ou les armes du propriétaire. D’abord exclusivement orale, la procédure s’appuie progressivement de plus en plus sur l’écrit, notamment pour établir l’ancienneté des bornes existantes et l’historique des conflits de bornage précédents.
Le cerquemaneur ou l’arpenteur juré dresse cartes et plans des lieux à l’appui de cette enquête. Et c’est là tout l’intérêt de cette procédure : elle a produit de très nombreux relevés cartographiques très précis qui sont conservés dans les archives des procédures judiciaires de la cour souveraine. La plupart ont été regroupés en plusieurs collections, numérisées et accessibles sur le site des archives de l’Etat.
La procédure est contradictoire et les parties peuvent demander jusqu’à trois cerquemanages successifs pour faire établir leurs droits. Les nouveaux cerquemanages doivent être faits par de nouveaux arpenteurs accompagnés au moins d’un cerquemaneur ayant présidé à la première enquête. Si les frais et dépens du premier cerquemanage sont partagés entre les parties, ceux des suivants sont imputés à la partie reconnue en tort. Selon l’issue du litige, le cerquemaneur peut être amené à dresser de nouvelles bornes ou à en relever d’anciennes pour matérialiser les limites nouvellement définies ou les préciser. Les droits et titres attachés à ces bornes sont imprescriptibles, ce qui explique que lors de chaque enquête l’on cherche par tous moyens à les retrouver et les identifier.
Lorsqu’il lève ce plan en septembre 1768 pour établir les limites de la juridiction de la commanderie de l’ordre de Malte à Vaillanpont, le géomètre juré Braeckman, relève l’emplacement de chacune des bornes matérialisant cette limite au milieu des bois de Vaillanpoint et d’Hazoy et en dresse l’historique. Les plus anciennes ont été dressées en 1662 à l’occasion d’un précédent litige.
Plan figurant les bornes posées entre les bois d’ » Hazoy » et de » Vaillanpont » ; levé et mesuré, le 21 septembre 1768, par le géomètre Braeckman, d’après les ordres de frère Jean-Charles de Rupierre, chevalier, commandeur de l’ordre de Malte et administrateur des commanderies de Chantraine et de Vaillanpont. AEM.14.001 – 679
Certaines zones ont fait l’objet de très nombreux litiges de juridiction. C’est le cas du Borinage au sud et sud-ouest de Mons, particulièrement dans le quadrilatère formé par les communes de Cuesmes, Jemappes, Quaregnon et Frameries : litiges entre communautés villageoises, lorsque le village de Pâturages gagne son indépendance sur Quaregnon dont il dépendait, entre les différentes juridictions, de la ville de Mons et de l’abbaye de Saint-Ghislain notamment, mais aussi avec le comte de Hainaut. Cette multiplication des litiges s’explique par la richesse du sous-sol et la présence des houillères. Le droit de charbonnage est en effet un des attributs de haute justice, relevant de la puissance et juridiction du seigneur. L’exploitation des mines est le plus souvent concédée à des particuliers ou associations de particuliers, cette concession se faisant moyennant droit de cens (redevance due en contrepartie du droit d’exploitation) et d’entrecens (redevance proportionnelle au produit de l’exploitation). Cette source de revenus considérables explique la multiplication des contestations portées en justice.
Les plans dressés à ces occasions sont le plus souvent extrêmement détaillés et permettent de dresser une image très précise des lieux : emplacement des voiries, des chaussées pavées jusqu’aux piedsentes ou chemins seulement accessibles aux piétons, ponts, ruisseaux, canaux, biefs et fossés, des maisons et bâtiments, moulins, puits et machines des fosses à charbon et jusqu’aux cultures des champs. Les biens fonciers sont identifiés par le nom de leurs propriétaires ou censiers.
La cour de Mons fait également appel aux arpenteurs jurés pour déterminer de quelle juridiction relèvent les crimes commis dans le comté. Ces procédures donnent lieu à l’établissement de plans le plus souvent figuratifs, comme reconstitutions des événements. Un très bel exemple est le litige opposant au XVIe siècle la ville de Mons au village de Nimy, la détermination de la juridiction compétente dépendant de l’endroit de l’interpellation du criminel, celle-ci s’étant produite sur un héritage du chapitre de Sainte-Waudru. Elle donne lieu à l’établissement de deux magnifiques vues à vol d’oiseau reconstituant la disposition des lieux et de l’interpellation elle-même. Richement illustrée, c’est un témoignage précieux du paysage montois de la Renaissance mais aussi des costumes.
Pour aller plus loin
Philippe-Antoine Merlin, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, 4e édition, 1812-1825
- article Cerquemanage
Paul Bruyère, Le cerquemanage et les échevins de Liège aux XVe et XVIe siècles
Illustration : Johann Petrejus, Geometrie & Vermessung & Messstab 1547 – Deutsche Fotothek